Voyage en Malaisie

Nous quittons la plage maintenant que la température a baissé et qu’un vent frais nous pousse à flâner au marché de nuit du vendredi, jour de repos pour tous les musulmans. Nous choisissons  de traverser, à deux pas de l’hôtel de luxe, un quartier entre plage et route principale composée uniquement de maisons en bois sur pilotis habitée par des gens visiblement très pauvres. Nous pourrions l’éviter en longeant la mer mais j’aime y passer chaque soir même si Lov rechigne un peu non pas à cause de la pauvreté mais de la saleté et de la pourriture qui exhale des odeurs nauséabondes. J’aime traverser le miroir de la malaisie, pays développé, riche et fier de ses fleurons que sont Petronas, ses deux tours diamantées et  son GP de F1. L’envers du décor à Kuala Terranganu est tout autre, ici aussi la politique sociale semble inexistante. Des gamins qui ne vont pas à l’école jouent au ballon sur ce morceau de route goudronnée et nous interpellent en nous lançant des « hello » effrontés. J’engage le contact en leur souriant et en lançant des mots anglais qu’ils ne connaissent pas mais qu’ils aiment répéter en forçant l’accent, je les prends en photos, ils prennent la pose et me regardent droit dans l’œil, et ils adorent effrontément. Les filles sont plus timides et réservées. Les mères souvent les poussent à poser, fières de la promotion et de la valorisation qui leur est offerte sur un plateau. Nous enjambons par un pont de fortune en planches un étroit canal qui coupe le quartier en deux, en coupant notre respiration pour éviter les remugles de ce qui semble être des matières fécales qui stagnent sur une eau grise qui n’arrivent pas à rejoindre la mer. Nous glissons sans bruit entre les anciennes maisons en bois sur pilotis pour surprendre les postures à cette heure ou les corps reprennent de la vigueur, allégés par un début de fraicheur. Assis à même le seuil surélevé de sa maison, un vieillard dénudé, morne et passif s’agite à notre passage en nous souriant. Plus loin, une mamy, vêtue d’un vieux batik usé et décoloré, le visage buriné cerné entre deux balustres nous adresse un signe de la main. Les yeux des seniors s’illuminent chaque fois que je les salue avec un cordial  « salam alikoum ». Ils se redressent fièrement quand je les cadre, leurs yeux me crient merci quand on s’éloigne. Lov est à mes côtés, silencieuse, je sais que son coeur hurle d’indignation devant tant de dénuement, tant de différences et d’indifférence. Ici, à ma demande toute en mime, une famille entière prend la pose, étonnée et souriante,  sur un banc en bois bancal au bord du canal, chacun se regardant surpris de sa complicité dans une situation imprévue et singulière ; des éclats de rire fusent. Là un singe affreux aux yeux méchants racle, enchainé comme un chien, le trognon d’un épi de mais. Là-bas deux gamines, belles comme des cœurs, jouent au pied d’une maison à la cour inondée d’immondices, de papiers, de plastiques en tous genres. Scènes de la vie ordinaire en malaisie, sur la côte-est, la plus pauvre, la plus démunie, la plus islamiste.

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